Maître Seigo YAMAGUCHI

Quelques extraits d’un fascicule rédigé par Maître Seigo YAMAGUCHI en complément d’un stage pour gradés animé à l’Aïkikaï de Tokyo en mars 1978.

Poèmes sur le « Do » : la Voie.
Extraits des poèmes de Morihei Ueshiba.

« Travailler la vérité, encore et encore, jusqu’à la vérité
Connaître la pure vérité dans sa limpidité profonde »
« Par l’harmonie du Ki, laisser travailler son énergie en toute circonstance
Et s’unir tranquillement avec le monde dans toute sa beauté »
« Se laisser emporter par la respiration du ciel et de la terre issue de Dieu
Laisser ainsi s’exprimer la volonté de Dieu. »

Celui qui est sur la Voie de l’Aïki devrait lire ces poèmes nuit et jour afin d’en extraire l’aspiration et le sens profond. Je suis persuadé que non seulement cela procurera des émotions sur l’esprit mais que cela se manifestera aussi par un progrès remarquable sur le plan technique.

Dans ce chant, la moelle épinière de la Voie, la direction fondamentale de l’ascèse, est exprimée de manière concise. Ceci n’est pas une « théorie  » de l’ascèse du Budo mais quelque chose qui, en tant que tel, doit servir de guide dans la vie quotidienne. La vérité est à la base du DO et constitue le corps de l’Aïki. Aïki est la clef de voûte du DO ; la logique de ses principes est également la technique.

L’engagement est la chose importante du parcours ; il faut réfléchir à quelle forme cet engagement doit prendre ainsi qu’aux relations entre la Voie et la technique.

C’est parce que l’âme de la technique ne diffère pas de la norme quotidienne que c’est la Voie. C’est aussi la Voie parce qu’elle ne se limite pas à une technique secrète d’une seule personne élue et que tous ceux qui en ont la volonté peuvent l’atteindre ou, du moins, en détiennent en eux la possibilité.

La Voie c’est aussi un élargissement ou approfondissement de soi-même et elle ne s’arrête pas à la recherche de la Voie : elle porte des fruits.

C’est seulement quand l’esprit et la logique des principes se reflètent dans la technique de manière effective que c’est la Voie. Il est vain de parler de Voie sans technique. Il est important que celui qui veut parfaire sa technique tienne compte de l’esprit et de la logique des principes, c’est à dire de la Voie.

Une technique qui ne se fonde pas sur la Voie se heurte forcément à un mur ou alors blesse son propre corps : parfois, au cours des recherches personnelles, les efforts peuvent donner des résultats inverses à ceux que l’on visait. La Voie, sa logique, sont comme inéluctables, comme une évidence et sont naturelles. La technique s’accomplit comme elle doit s’accomplir, de manière spontanée, naturelle et évidente. C’est ça la technique. Il ne s’agit pas d’accomplir des gestes ou des choses difficiles. Il importe de faire sérieusement des choses faciles que tout le monde peut faire. Mais il est en fait difficile de découvrir cela, d’en prendre conscience et de s’en persuader. La technique n’est pas de faire des choses curieuses ou mystérieuses, et si, parfois elle paraît mystérieuse, c’est qu’elle est trop naturelle et évidente.

Pour accomplir la technique, il faut à la fois de la détermination et l’abandon de son corps. Cette détermination ne vient pas d’un seul coup. Le problème est de savoir quelle forme cet engagement doit prendre et quelle est sa nature. Jadis, on ne parlait pas de Voie comme par exemple pour le Ken jutsu et le Jiu jutsu. Mais ça n’est pas parce qu’on n’en parlait pas que la Voie n’existait pas. Elle existait de manière évidente en tant que connaissance du Budo, du Shinto ou du Bouddhisme et c’est pourquoi on se consacrait entièrement à la technique (bujitsu). Pour nous donc, il ne faut pas se contenter d’invoquer la Voie.

« L’esprit de ses débuts »

Dans toutes les Voies dont on entreprend l’étude, une chose importante, que l’élève doit se rappeler sans cesse, c’est de ne pas oublier l’esprit de ses débuts ou bien de retourner à l’esprit de ses débuts. Ceci parce que on ne peut pas espérer un progrès seulement par la répétition assidue des choses apprises. Le « tanlen » (polissage) est, selon les anciens, l’entraînement pendant des jours et des jours, mais cela ne veut pas dire une suite de répétitions mécaniques.

On trouve dans la biographie (les dits, les écrits,) du maître du ken, l’enseignement suivant : « va au contact toujours avec un esprit renouvelé ». Ce sont des mots qu’il faut se graver dans la tête.

En outre, les anciens ont dit que, au cours de l’ascèse, il faut être prêt à enlever non seulement les mauvaises habitudes, mais aussi les bonnes. Les mauvaises habitudes, que ça soit à propos de la technique ou d’autre chose, on en prend conscience assez facilement par soi-même et par le biais des autres, et elles sont faciles à rectifier. Même si on a du mal à les redresser, si on en prend conscience, soi-même et si les autres en prennent aussi conscience, on n’en arrivera pas à causer beaucoup de dégâts. Par contre, celles qui passent pour de bonnes habitudes, sont perçues évidemment par l’intéressé comme étant positives et par conséquent on n’en remarque pas facilement les inconvénients. Et les autres ayant du mal à s’en rendre compte, les dégâts causés à soi et aux autres sont grands. Donc, même en étant persuadé de leur côté positif, il faut se dire que l’on est en cours d’ascèse et que ce que l’on fait n’est que ce que l’on peut faire de mieux pour le moment et il convient donc d’être suffisamment humble pour accepter n’importe quand, n’importe quelle critique.

Ceci est une chose difficile mais il est souhaitable de retrouver l’esprit de ses débuts pour avancer.

Je vais parler des précautions les plus importantes pour pratiquer selon la Voie d’après les enseignements de O Sensei.

Ce qui m’a le plus profondément marqué est, en premier lieu, l’enseignement de la loi de  » zen shin » (aller de l’avant): si l’adversaire est grand, l’escalader et le franchir, c’est tout. Ce sont des mots simples mais qui ont une signification profonde qui expriment de façon authentique les fondements du Bu Jutsu sans être prisonnier des noms ou des détails des techniques une par une.

Ceci est véritablement la technique de la rencontre sur shomen (de aï), l’esprit de ikkyo et de irimi, sans doute. Aller de l’avant et rencontrer (atari) l’autre. De là naît la logique du cercle ainsi que le développement de la technique. Il faut bien comprendre que la logique de irimi-tenkan et du cercle ne correspond pas du tout à une esquive facile.

Ensuite, « rentre au contact avec ton ki ». Il ne s’agit pas de rentrer à tort et à travers mais, s’il y a un contact effectif, il faut que cela soit au point que l’adversaire vole au loin. Et pour cela, il me semble important de concentrer sa force du ki dans le tanden (centre) et d’avoir un corps disponible sans raideur ni blocage et avec des pieds qui ne soient pas fixés. Cela m’évoque les mouvements rapides comme l’électricité et l’apparence impassible de O Sensei qui nous enseignait les techniques avec toujours des « tabi » aux pieds. Il était non seulement un génie du Bu jitsu, mais son esprit imperturbable et libre créa ces techniques divines. Et on peut comprendre que la technique suprême et variée qui consiste à rentrer avec le ki, mais qui en fait ne touche pas, soit sortie de manière évidente et spontanée.
Pour le ken et le yari, il est particulièrement important de rentrer avec le ki avec détermination et quasiment l’idée de se faire toucher : un sentiment d’aller pour se frapper mutuellement. S’il n’y a pas cela, irimi-tenkan est impossible sans doute.

Et en conclusion, je vous livrerai cet enseignement classique précieux : « là-même où on peut se faire couper, il y a un endroit où on ne peut pas être coupé ».

Seigo YAMAGUCHI
Traduction de Hiroko et Franck NOEL