Franck NOEL : Hum, Hum, Hum…

Hum, Hum, Hum…

Certes, ce titre est quelque peu énigmatique.

Non, il ne s’agit pas d’une onomatopée cherchant à copier le raclement de gorge destiné à s’éclaircir la voix avant une prise de parole où l’on ne sait que dire…
Non.
Il faut, en fait, y voir le résumé d’une réflexion que nous devons à Alain Damasio et que nous allons tenter de détourner vers notre discipline, convaincus que nous sommes qu’elle y trouvera aussi toute sa pertinence.
Dans son roman « Les Furtifs » (Ed La Volte, 2019) roman foisonnant, déroutant et fascinant, Alain Damasio, qui se plaît, entre autres, à imaginer et décrire de multiples formes d’organisation humaine, au détour d’une des innombrables péripéties de son récit, propose à notre réflexion un trio de valeurs qui pourrait bien constituer le manifeste fondateur d’une cité idéale : les trois Hum.

Humanité, Humilité, Humour.

Car, peut-être ne l’avons-nous pas assez considéré ainsi mais, d’une certaine façon, notre Aïkido est aussi une sorte de cité idéale… ou du moins, en tant que « DO », tente de l’être. Car il ne s’agit évidemment pas de s’aveugler sur toutes les imperfections qui émaillent la réalité de la discipline, tant dans sa vie sociale souvent nourrie d’ubris et de faux-semblants que dans son expression technique immanquablement confrontée à l’approximation et, dans le meilleur des cas, à la conscience de son approximation.
Il n’en reste pas moins que l’Aïkido, en tant que « DO », a besoin d’une perspective, figure de l’idéal, qui l’impulse et le mette en mouvement, tout en restant inaccessible afin que jamais cette impulsion ne se tarisse. Cette figure de l’idéal est matérialisée par le Kamiza, dont la présence dans chaque Dojo est bien le signe de son caractère indispensable et consubstanciel à la discipline. Par ailleurs, il est tout aussi clair que la pratique de l’Aïkido s’inscrit dans la logique de la cité. Non seulement par ses relations avec les institutions et avec la vie en général, mais aussi et surtout parce qu’il « fait cité ». Il « fait cité » car il organise la communauté (ouverte) du Dojo selon des modalités qui lui sont propres, avec un sens qui lui est propre, dans une sorte d’effort ou, du moins, de tentative, ou d’élan, vers une perspective (l’idéal) commune. Et c’est ainsi qu’il induit entre les pratiquants des types de relations spécifiques à ce cadre, sorte de modus vivendi dont les règles ne sont totalement ni codifiées ni formalisées mais dont on sent bien confusément qu’il serait déplacé de les transgresser. Il est à noter que cette réalité « citoyenne » de la discipline est totalement assumée par l’Aïkikaï de Tokyo qui définit l’objet de l’Aïkido comme «un exercice physique visant à améliorer les relations sociales ».
Se mettre en mouvement vers une cité idéale donc.
Pouvons-nous donc, dans le cadre de notre « cité idéale Aïkido », reprendre à notre compte ces trois termes pour en faire, nous aussi, la trilogie d’un manifeste fondateur ? Les trois piliers structurant l’architecture du Dojo ? Les trois balises guidant le voyage du pratiquant, pèlerin de l’idéal, déterminé mais sans illusions ?

Il semble bien que oui.

Il semble bien en effet que nos « trois Hum » soient tout à fait appropriés pour cadrer et orienter le mental ou l’état d’esprit nécessaire au pratiquant pour être à même de profiter, mais aussi de faire profiter, des bienfaits de la discipline et du Dojo. Par ailleurs, puisque l’Aïkido entretient une certaine complaisance à faire se confondre les objectifs et les moyens, il semble tout à fait légitime de considérer que le polissage de Uke et de Tori opéré par la pratique vise à nous façonner des individus empreints d’humanité, d’humilité et d’humour. Ces trois valeurs constituant à la fois le bain que propose le Dojo au même titre que la perspective à laquelle (vers laquelle) il aspire.

Examinons cela plus en détails.

Le concept d’humanité est vaste et revêt bien des aspects. Nous ne tenterons pas de le définir dans toutes ses acceptions et laisserons la parole au poète latin Térence pour l’évoquer : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Le cadre ainsi posé, conscient de la difficulté d’embrasser l’ensemble de la question, nous nous contenterons de resserrer la focale sur deux de ses composantes :
. Envisageons d’abord la valeur morale que l’on associe communément au mot « humanité » qui, peu ou prou, englobe les notions de bienveillance, de compréhension, d’empathie, d’écoute…bref, la capacité à « se mettre à la place de l’autre », à respecter sa dignité et à prendre en compte son point de vue.
L’Aïkido, on le sait, prône le respect de l’individu, et sa technique, qui vise à apaiser et non à dominer, trouve sa logique en s’inscrivant dans cette démarche. De même, on comprend vite, en pratiquant, que les échanges entre les partenaires ne peuvent être productifs (de progrès mais aussi de bien-être et de joie) que s’ils sont empreints de bienveillance. Mais, sur ce point, pour éveiller et entretenir cet état d’esprit, peut-on rêver d’un modus operandi plus approprié que celui proposé par l’Aîkido ? Nous parlons ici de l’alternance des rôles Uke/Tori qui réclame de se mettre concrètement et à tour de rôle à la place de l’autre et où il s’agit de mettre en scène, d’incarner et d’expérimenter ce principe fondamental d’humanité. Et c’est ainsi, dans cet échange cadré, qu’il est permis à chacun d’interagir avec son double, qui est autre et jamais le même, pour toujours un peu plus de profondeur dans la compréhension et l’acceptation du vaste ensemble humain.
Mais par ailleurs, parlant d’humanité, il faut bien évoquer l’Humanité. Et il est un élément physique, peut-être un peu trivial, mais fondamental, pour la définir et qui nous concerne au plus haut point : la station verticale, le bipédisme. Traduit dans la langue officielle de la « cité Aïkido » nous disons « Shissei ». Plus qu’une posture c’est d’une attitude qu’il s’agit, à la fois ferme et ouverte, disponible et impassible, faite de verticalité de l’axe du corps, de port de tête altier et de relâchement, autorisant un regard périphérique et une présence à l’instant autant qu’à l’environnement. Comme mentionné plus haut, il faut y voir un outil et un objectif tout à la fois: un outil car cette attitude est un préalable à une exécution pertinente des techniques en bénéficiant de l’unité du corps (et, à ce titre, les consignes de l’enseignant ne cesseront d’y faire référence ); un objectif car le souhait est de devenir capable d’adopter et de maintenir cette attitude ô combien humaine en toute circonstance, aussi contraignante soit-elle… évitant ainsi des positions voutées, recroquevillées, qui rapetissent la taille autant que le projet et nous rapprochent sournoisement du monde des crabes ou des tortues…
Alors oui, il est légitime d’affirmer que le « Shissei » est garant d’humanité.

La notion d’humilité aussi est familière aux aïkidokas.
Elle s’impose comme une nécessité, voire même comme une évidence dès que l’on s’aventure sur le tatami, commandée qu’elle est par le choix qu’on a fait de se mettre en situation d’apprenant (ou de disciple). Et les premières heures dans le Dojo vont très naturellement entretenir cette humilité car le nouveau venu, obnubilé par sa soif de découverte et d’apprentissage, se sent sans repères, ne sait plus mettre un pied devant l’autre ni bouger de façon « normale » car il considère que cette nouvelle activité nécessite de tout remettre à plat jusqu’à en oublier la manière habituelle d’utiliser le corps.
Cette humilité évidente et non réfléchie va coller à la peau du pratiquant pendant… un certain temps. Puis, progressivement, à la mesure de sa progression et de sa prise de confiance, elle va s’estomper jusqu’à parfois disparaître totalement quand le savoir-faire acquis peut lui donner l’illusion de dominer le sujet. Le risque de cette illusion est particulièrement grand lorsqu’on fonctionne en vase clos, au sein d’un groupe réduit, sans sortir de sa zone de confort, sans chercher à s’abreuver à différentes sources.
Impossible en revanche de se bercer d’illusions si l’on sait dépasser la phase strictement d’apprentissage pour la faire évoluer en véritable recherche ou quête, c’est à dire si on adopte résolument la logique du « DO ». Car la perspective infinie de la discipline, quête d’idéal, ne peut s’envisager qu’avec humilité.
Cela dit, et transversalement à cette vision du long terme, les rappels à un peu d’humilité ne manquent pas tout au long du cheminement à la faveur des confrontations avec la réalité des rencontres avec ses coreligionnaires qui sont autant d’occasions de prises de conscience de ses limites. Et il faut aussi compter avec ce sentiment de dépaysement que l’on éprouve parfois lorsqu’on sort de son environnement habituel de pratique pour découvrir une forme d’enseignement nouvelle, avec cette impression d’avoir perdu tous ses points d’appui en tentant d’appliquer des consignes qu’on entend pour la première fois. Rien alors pour flatter son image, pour se sentir valorisé…le retour à l’humilité s’impose.
Et, une fois de plus, comme pour ce qui concerne « l’humanité », la mise en scène du Dojo contribue à instaurer l’humilité comme valeur irradiant la pratique : la position du Sensei au moment du salut, qui le situe entre les pratiquants et le symbole de l’Aïkido idéal que représente le Kamiza, indique clairement qu’il ne revendique pas le statut de référence absolue mais, humblement, celui de passeur ou d’intermédiaire.
Les incitations à l’humilité ne manquent donc pas. Il relève toutefois de la responsabilité du pratiquant de savoir les entendre et de comprendre qu’il gagnera à rester fidèle au compagnonnage de cette valeur tout au long de son parcours.

Reste l’humour.
Habitués que nous sommes à considérer l’Aïkido avec sérieux, cette revendication peut nous paraître plus surprenante.
Pourtant, indéniablement, il y a un côté « arroseur-arrosé » dans la forme même des techniques Aïki qui voient « l’agresseur » projeté ou amené au sol, image de la juste punition du
« méchant », schéma dont usent et abusent les dessins animés destinés au public enfantin… et le comique de ce scénario n’a sans doute pas attendu l’invention du film d’animation ni du cinéma muet pour faire sourire.
Mais le comique n’est pas l’humour dira-t-on. Certes.
Toutefois, si on y regarde de plus près, en s’attachant aux mécanismes techniques qui font la finesse et, pourrait-on presque dire, la délicatesse de l’Aïkido, on ne peut que constater leur similitude avec ceux de l’humour : l’art du pas de côté, du décalage, de la prise de distance, du choix de l’angle de vue, du positionnement, de la tangence à la réalité, de la déviation du propos ou de son prolongement jusqu’à l’absurde, à quoi s’ajoute cette acuité de vision vers toutes les brèches qui s’ouvrent et constituent autant d’opportunités à des rebonds créatifs et inattendus … tous ces procédés qui permettent de jouer avec une situation pour lui donner un sens nouveau sont les ingrédients moteurs de la technique Aïki comme de l’humour.
« Avoir le sens de l’humour » : savoir débusquer l’humour du sens qui, lui aussi, ne demande qu’à converser avec son double.
Mais la manière dont l’humour imprègne notre pratique se manifeste aussi dans un autre domaine où il va s’associer avec la notion d’humilité déjà évoquée plus haut. Un humour tourné vers soi-même, parfois proche de l’auto-dérision, où, en prenant un peu de distance par rapport à sa manière d’être ou de faire (le pas de côté), en prenant conscience de ses imperfections et approximations, on ne peut que sourire. Ces instants de lucidité se posent alors en contrepoint salutaire à ce que la détermination peut charrier avec elle comme aveuglement et brident à bon escient la tentation de se prendre au sérieux.
L’humour comme facteur de lucidité dans l’exploration de tous les sens du sens et de toutes les composantes d’une situation. La pratique de l’Aïkido ne peut que se féliciter de savoir s’enrichir à s’en nourrir.
« Humanité, Humilité, Humour »…
C’est donc avec beaucoup de gratitude que nous remercions Monsieur Damasio de nous avoir permis de nous emparer de ces valeurs pout y faire baigner notre pratique. Car, de plus, il n’est pas interdit de voir en elles comme une définition impressionniste de l’élégance, cette autre valeur qui a l’élégance de ne jamais se laisser saisir, de toujours rester en suspens. Ce prisme triangulaire nous aide toutefois à entrevoir ce qu’elle héberge en son sein et nous amène à penser que notre discipline est en droit de la revendiquer.

Au vu de toutes ces considérations, on ne peut que souscrire à l’idée que ce trinôme constitue une bien belle devise qui mériterait sans doute d’être gravée au fronton des Dojos…

Franck NOEL

 

Quelques réactions et commentaires reçus à la suite du texte « Hum, Hum, Hum »

Bonjour à vous, merci pour ces textes que, en ex-menuisier, je trouve si bien (chan)tournés et enrichissants.
L’humilité, étymologiquement dérivée d’humus, se rapporte on ne peut mieux, me semble-t-il, à cette mise à la terre que nous pratiquons systématiquement, parfois sans humour, dans notre martiale quête d’Humanité.
Cordialement

*

Merci pour ce partage!

J’ai lu moi aussi « les furtifs » ; livre magnifique et profond qui amène effectivement à réfléchir et se questionner, entre autre, sur notre statut d’humain.

Alors merci Franck d’avoir fait le lien avec l’aïkido et de nous inviter, une fois encore, à penser notre pratique en dehors du tatami.

A bientôt!

*

J’ai eu besoin de temps pour réfléchir à ton dernier écrit. Il fait écho à ma pratique. J’ignore la portée que tu souhaites lui donner.
HumHumHum, je commencerai par un rapide point provocateur sur la notion d’humanité. Bien que je perçoive l’importance du Shissei, n’est-ce pas réducteur de considérer humain que ce qui évolue sur deux pieds ? Ceci étant, je n’ai jamais rencontré sur un tatami un pratiquant amputé d’un membre inférieur quel qu’en soit le degré ni un paraplégique. Je trouve la notion d’attitude, que tu développes principalement, bien plus claire que celle de bipédisme.
En ce qui concerne l’humilité… C’est à mon sens le cœur de l’affaire. Bien que familière, des exceptions existent.
A titre personnel, aujourd’hui encore je considère que débuter l’aïki : c’est ingrat. Tu passes un certain nombre de cours à ne pas trop savoir ce que tu fais là, et pourtant tu sens que c’est là où tu dois être. Tu ne sais plus utiliser ton corps… Tu ne sais plus comment faire un geste simple… J’ai vécu cela à chaque changement de dojo (5 fois) ! A force, tu as beau savoir que tu vas réussir à t’adapter, à apprendre de nouvelles façons de faire, ça n’en reste pas moins un moment de vulnérabilité qui s’inscrit parfaitement dans le DO. Mais faire un art martial pour expérimenter la vulnérabilité est contre-intuitif pour nombre d’entre nous, aïkidoka ou non. Et cela peut créer une attitude de toute puissance compensatrice. Expérimentée dans le changement de dojo, petite je regardais les pratiquants de la Roseraie (oui, je sais du «Dojo de la Roseraie » tu vas me dire ?) comme des gens immobiles. Immobilisés dans un type de pratique. Quand à mon tour je suis devenue ce genre de pratiquante, j’ai eu beau tenter de sortir de ma zone de confort, d’aller voir ailleurs
-je n’ai peut-être pas eu de chance me dira-t-on- je me suis heurtée à ce que j’appellerai le complexe d’humilité. J’étais programmée pour être humble. En toutes circonstances. Disposée en permanence à être dans une posture d’apprentissage. Seulement, être dans cette posture face à un enseignant, c’est une chose. L’être face à tous c’en est une autre. Car si l’enseignant sait percevoir une personne assidue, le partenaire percevra une personne soumise. Tu n’imagines peut-être pas le nombre de témoignages qui vont dans ce sens dans le vestiaire des femmes. L’humilité, oui. Mais à deux vitesses, clairement. On nous parle d’étiquette, une pratiquante répond « moi j’suis pas Japonaise ». Une façon non pas d’attaquer la culture nippone mais de dénoncer l’hypocrisie de normes sociales sur le tatami en décalage avec ce qu’est la société occidentale aujourd’hui. Est-ce une humilité nécessaire que des femmes se voient systématiquement refuser la reconnaissance de leur grade au moment de démarrer la pratique avec un partenaire d’un grade équivalent ? Est-ce une humilité nécessaire que des femmes parce qu’elles sont femmes se voient expliquer une technique en long en large et en travers par un partenaire qui parle mieux qu’il ne bouge ? Alors à force de subir, on finit par se mettre en retrait. C’est là qu’amène l’humilité. A une invisibilisation des personnes humbles et à une mise en lumière des personnes qui ont déjà une certaine estime d’elles-mêmes.
Le DO, ce parcours semé d’embûches dans lequel t’es bien seule. Quelqu’un m’a dit un jour « tu sens que tu vas
démarrer un truc compliqué et qu’on ne va pas t’aider ». Ces dernières années, me concernant j’ai consacré une partie de mon DO à me débarrasser du surplus d’humilité qui m’atrophiait. J’ai travaillé ma posture pour ne pas les laisser déséquilibrer mon Shissei. En tant que pratiquante de la Roseraie, j’ai cessé d’aller voir ailleurs, et je me suis résignée à l’immobilité, la préférant à l’humilité contrainte. Sans persévérance, sans un je ne sais quoi infinitésimal au fond de moi, j’aurai arrêté l’aïki. Parce que j’étais en colère d’être seule. On est nombreuses à être seules dans un système qui dysfonctionne. Parce que c’est ulcérant de voir que l’humilité n’est pas demandée de la même façon à tout le monde.
J’ai remis en question ma manière de me présenter. J’attendais des enseignants qu’ils cessent de mettre en valeur les egos au nom de l’étiquette ou que sais-je. J’avais beau faire des stages, systématiquement, le même scénario se répétait. A m’en décourager. Je crois profondément que la qualité d’un stage dépend pour moitié de l’enseignant et pour l’autre des participants. Quand on tombe sur les mêmes profils sans possible amélioration, est-ce que vraiment on tend l’autre joue la fois d’après ? Je suis certaine que tu as remarqué à quel point l’humilité peut-être proche de l’humiliation.
Tu parles d’humanité, mais on est des humains en société sur le tatami et qu’on le veuille ou non, que cela nous le soit enseigné ou non, on fonctionne avec les mêmes normes et valeurs que dans la vie de tous les jours. Croire à une cité hermétique utopique, oui… mais pour l’instant on y renforce les stéréotypes de pouvoir. Tu sais ce qu’on dit d’un homme qui sait ce qu’il veut, qu’il est déterminé. D’une femme, qu’elle est arrogante. On n’a pas la même ligne de départ sur le DO.
Alors l’humilité… si tout le monde y souscrit, pourquoi pas. Mais persistera le risque que son contraire se ramène à la fête. J’aimais bien les notions de bienveillance et de sincérité (ou « authenticité », lol) que tu avais développées dans les master class.
Quant à l’humour, quelle consécration. Arriver à se libérer de son texte pour voir ce qui a toujours été, de manière si naturelle. Le manque d’humilité rend les choses bien sérieuses… Avec l’humour vient non seulement plus facilement la notion d’Affiliation mais aussi la bienveillance. J’ai une reconnaissance particulière pour les travaux de Gas et de César dans ce domaine.
Voilà mes commentaires. Ils n’étaient peut-être pas ce que tu espérais, ils sont peut-être désespérés mais ils sont sincères. Ils sont le reflet de près de 20 ans de pratique, de 20 ans où j’ai beaucoup grandi et d’une certaine soif de
« plus ».
PS : De toute évidence, encore une fois ma vie est Aïki, j’apprends actuellement à gérer des commentaires de personnes faussement bienveillantes… Le DO est partout, même sans kimono.

*

Les trois Hum ou la confrontation des réels !

Il serait pas facile à illustrer celui-ci !
Tes entrées en matière restent toujours inattendues ! Ton introduction incarne pleinement le troisième Hum des trois Hum que tu nous présentes.
Ce dernier me paraissait à la lecture le moins évident, le moins direct à appréhender. Au bout du compte, il m’apparait au final presque central (et même salvateur vu le contexte actuel de notre discipline).
En lisant ton texte, je me dis que l’aïkidoka averti, éveillé ou à réveiller (…), idéalement l’aïkidoka de base, devrait se gargariser des trois Hum avant chaque cours ou stage, voir même dès le matin au même titre que l’on se brosse les dents : les trois Hum comme un antiseptique aux pourrissements de nos positions, arc- boutage et certitudes.
Car si on se trompe souvent, cela éviterait sans doute de se tromper tout le temps…
Il est vrai que l’exercice consistant à se passer au crible de filtres comme les trois H n’a rien d’évident puisqu’oblige à se débarrasser de toute complaisance : se mettre face à une réalité sans fards.
La notion de réalité chez l’aïkidoka est une vraie tarte à la crème, elle dérive et se réduit facilement à la
notion de « réalisme » ou réel de situation (le troisième Hum nous orienterait plutôt vers une forme de comique de situation…)… Les trois Hum que tu empruntes à Alain Damasio devraient pourtant permettre à chacun de calibrer son rapport à la pratique et éviter des fantasmes que certains (beaucoup) projettent, conduisant à une vision tronquée de la discipline, dans sa définition et sa représentation.
Qu’il s’agisse de l’humanité, de l’humilité, de l’humour, je trouve qu’il est toujours question de notre rapport au(x) réel(s) : le réel de la pratique et de ces contingences, le réel du propos de notre discipline, le réel de ce que nous éprouvons et apportons dans la pratique, et d’autres encores.
Pas sûr que les futurs lecteurs de ton texte sauront se saisir de ces balises que tu permets, sous une nouvelle forme, de révéler. Pour la plupart, je pense qu’une bonne partie des pratiquants recherche plutôt des « trucs » techniques inédits ou jamais vu qui les valoriseraient (et stigmatiseraient) plutôt que des outils de développement permettant de s’orienter dans la pratique et une meilleure compréhension du médium même que l’on travaille sur le tatami…

Un point sur la question de l’humilité, puisque plus que jamais depuis 5 années j’y suis confronté. Il n’est pas aisé de trouver le dosage, l’équilibre entre la part de ce que l’on doit accepter dès lors que l’on sort de son dojo et que l’on se frotte au monde plus vaste des pratiquants et ce que l’on se doit, à mon sens aussi, de refuser dès lors qu’il nous semble exister de mauvaises interprétations ou consignes. Arriver à faire la part entre ce qu’il nous revient d’accepter en étant dans une dynamique de découverte, polissage, d’une part et a contrario décider de ne pas suivre certains préceptes qui nous semblent incohérents relèvent de l’équilibriste et l’on peut vite dériver. Et finalement se fermer par une exigence aveugle.
De même multiplier les enseignements différents sans discernement risque de déconstruire tout un travail personnel existant qui a le droit en soi aussi d’exister. Et encore faudrait-il, dans ces découvertes d’autres façons de pratiquer, que les dojos eux-mêmes, des pratiquants à l’enseignant, soient prêt à accepter qu’un pratiquant existe sur le tatami avec des solutions différentes.
Cette question de l’humilité est vraiment, sur ce niveau là, assez complexe.

Je me suis amusé à regarder une définition de l’humour dans le Dictionnaire Le Robert : « Forme d’esprit qui consiste à dégager les aspects plaisants et insolites de la réalité, avec un certain détachement. »
Difficile de ne pas souscrire à ce que tu en dis, et la définition proposée ci-dessus rassemble je trouve beaucoup d’éléments importants de notre pratique, repris dans ton texte.
Sans doute la volonté de rapprocher toujours plus l’aïkido vers de la « AÏE-self-Ki-défense »est- elle symptomatique de ce qu’il arrive lorsque l’on se prend trop au sérieux.
Quant à l’élégance, ce cher Robert la qualifie drôlement bien et semble l’avoir définie pour illustrer l’aïkido ou ce que devrait rechercher l’aïkidoka: « Choix heureux des expressions » (…) « gracieux dans la simplicité »
Bon…Force est de constater qu’il y a du travail ! À bientôt,

*

C’est en rentrant de la plage de la Hume, havre de paix situé sur le Bassin d’Arcachon, que j’ai eu la belle surprise de découvrir ton message, ainsi que ton écrit. Cette coïncidence, tel un clin d’œil, m’a fait sourire.
J’ai beaucoup aimé le titre que tu as choisi et le développement que tu proposes.
Humanité, Humilité, Humour. Une très belle devise à graver au fronton des dojos, comme tu le dis si bien. Trois jalons qui raviveraient en chacun la conscience du chemin à parcourir, fortifieraient la volonté de s’élever (techniquement, humainement) sans diminuer l’autre.
J’ai très souvent observé sur les tatamis ce phénomène d’autosatisfaction de pratiquants « confirmés » fermant le cercle de leur jeu pour le réserver à des joueurs connus, référencés, « sûrs », cédant au confort clos de l’échange convenu, poli par des années de pratique communes. Quelle déception et comme cela peut être décourageant de constater la fragile existence de l’Art de l’interaction par excellence, lorsque
l’hypocrisie et la vanité bloquent le chemin. Comme l’« esprit » même de l’Aïkido peut si facilement sombrer, alors même qu’il semble régner au cœur du dojo. Cette expérience n’est-elle pas celle de l’absurde? Elle peut prêter à rire, il suffirait d’en prendre conscience, et par le jalon de l’Humour, Humanité et Humilité apparaîtraient et tous trois libéreraient la voie.

S’aventurer, risquer l’expérience sans choisir son partenaire, comme une condition pour cheminer au cœur de l’Aïkido.

Humanité, Humilité et Humour sont frères et sœurs, indissociablement liés, garants d’un plongeon dans l’inattendu qu’est le présent.

L’Humour (sur le moment et/ou à rebours) éclate les certitudes, les faux-semblants ; il est un précieux outil pour nous permettre de revenir sur notre pratique, notre manière d’être, de réagir ; il saupoudre de légèreté et de joie un Art pouvant paraître pesant et étouffant par son essence même, colorée d’impossible. Merci au décalage, à la surprise, aux erreurs, à la mécanique qui se dérègle ! Ouf, nous sommes bien vivants, en train d’essayer. Rire de soi, se moquer de soi (de ses maladresses, de ses rigidités, de ses raideurs, de ses a priori, de sa difficile interaction avec l’autre…) nous permet d’accéder à la connaissance de nous-même. En trébuchant sur le chemin, l’aïkidoka peut glaner des fragments, dont les miroitements viennent éclairer ce qui le rend humain, autant de faiblesses, de qualités, de défauts, de tentatives qui rassemblent tori et uke.

Le pèlerin de l’Aïkido progresse. Un pas après l’autre. Il sait que ce qui l’attend sera fait d’inattendu, de surprise, de dépaysement, de cet étonnement qui le rendra artiste, sur les tatamis comme dans la vie.
Alors, se méfiant du sentiment trompeur d’être enfin arrivé, il poursuivra sa route, gravant d’autres jalons au cœur de son propre chemin intérieur, d’autres initiales perlées de sueur. En toute humilité, je proposerais celle des pas, dont l’empreinte peut témoigner du chemin parcouru : Persévérance, Présence et Paix.

*

Merci pour ce petit texte très stimulant et très probant. Toujours un plaisir de lecture… En réponse, je te joins quelques réflexions sur le sujet. Réponse un peu tardive certes, mais le temps que ça infuse… !
Concernant l’Humain, on pourrait peut-être insister sur ce qui participe de l’originalité de l’Aïkido : c’est tout l’Humain pris dans sa globalité, avec ses manifestations les plus variées (go no keiko ?) y compris les moins flatteuses, qui sont incitations à décalage en acte, à humilité en acte, à auto-dérision en acte, en fait à promotion de la vie vivante. Pour l’Aïkido finalement toutes les situations sont prétextes à sortir de soi, à charge pour l’Aïkidoka de le faire avec de bonnes manières, sans être « hors de lui ».
Encore merci et à très bientôt.

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Merci pour ce texte comme toujours très stimulant !
Je souscris entièrement à tes propositions qui de nouveau nous proposent de penser à partir d’un modèle triangulaire cher à celles et ceux que les questions du sens, de la signification et de la communication intéressent (c’est toujours un peu l’histoire d’un « je » qui dit à un « tu » ce qu’un « il » lui a dit… n’est-ce pas
?)

Voici en quelque mots ce qui me vient en tête à la lecture de ton texte… A propos de l’humilité du débutant…
Je pense, qu’en quelque sorte, nous avons les élèves que nous méritons.
Si j’ai besoin d’être valorisé, pour quelque raison que se soit, il est fort probable que j’aurais besoin de considérer mes élèves débutants comme entièrement dépendants de mon savoir. De fait, je serais conduit à
les rendre « naturellement » incapables pour qu’ensuite ils me soient entièrement redevables de tous leurs progrès. Je retrouve cette manière de faire dans les formations initiales d’enseignement école de cadres, CQP, etc. Pour un pseudo maitre d’Aïkido, toute sorte de débutant est considéré initialement comme un idiot. Nous avons dans cette catégorie d’intervenant un cas d’école remarquable en la personne de Rettel, n’est- ce pas ?
Hélas, je ne suis pas certain qu’à la lecture de ton texte il soit en mesure d’évoluer sur ce point.
Cela dit, nous devrions nous questionner sur nos façons d’enseigner de manière complexe des gestes qui somme toute sont les plus simples du monde, monter, descendre, avancer tourner, tomber, rouler se relever, un jeu d’enfant !

A propos de la question de l’apprentissage et de celle de la quête…

J’ai toujours beaucoup de réticence à distinguer les deux. J’entends bien que l’un serait mobilisé par un but à atteindre, par exemple l’appropriation des outils de la pratique, et que l’autre serait la recherche d’une fin dont nous ignorons tout et qui cependant n’a de cesse de nous mobiliser dans l’ici et maintenant de l’activité technique.
Puisque les outils de la pratiques une fois construits deviennent les moyens à partir desquels nous étudions. Dans la pratique de l’Aïkido moyens étant donc homogènes aux fins et réciproquement, comment distinguer l’apprentissage (entendu comme acte d’apprendre et non plus comme acquisition d’un programme de base ou de fondamentaux quelconque) de l’étude ?

Je ne peux me résoudre à penser que l’étude puisse se déprendre de l’apprendre. S’il est question de devenir autre au cours d’un processus d’humanisation empreint d’humilité et d’humour il est, pour ma part, toujours question d’apprendre à être. D’une certaine manière l’exercice précède toujours (de peu) l’essence.

Pour terminer, je souscris totalement à la nécessité de rappeler le rôle de passeur, d’intermédiaire, voire de médiateur du Senseï. Cette posture implique d’être au service de la discipline et non de l’instrumentaliser.
La perte de référents symboliques en la personne des hauts gradés quels qu’ils soient, contribuent à mon sens à une désorientation des « jeunes » gradés qui deviennent leurs propres référents, instituant de fait des Narcisses auxquels les réseaux « dits sociaux » offrent un mode de diffusion à mon avis dangereux pour l’avenir de l’Aïkido.
A ce sujet, les démonstrations du 25 février dernier illustrent bien les risques de déviance qui menacent notre discipline.

Ces jeunes cons vont finir par faire de moi un vieux réactionnaire, c’est un comble ! Tant pis …

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Les hum… Un peu comme onomatopée pouvant incarner un songe? Comme dit en préambule les associations de ce texte m’ont surpris au départ, comme notamment l’aïkido rapproché à une cité idéale, mais je suis convaincu par l’argumentaire qui en fin de lecture rend cela comme une évidence.

La partie sur l’humanité replace l’aïkido dans quelque-chose d’essentiel pour moi c’est de le concevoir comme une discipline humaine et non considérer notre pratique comme mystification, maniant des énergies plus ou moins cosmiques, ce qui est à mon sens délétère pour la discipline et sa compréhension extérieure.

Ce paragraphe, m’a fait pensé un peu aux logiques de la bioéthique qui ne peut agir sous forme de règles préétablis pour pouvoir s’adapter à chaque cas particulier le mieux possible. Il n’est donc pas question d’instaurer des règles et un format rigide mais plutôt de s’organiser sous des principes fondamentaux (Respect de l’autonomie, Justice, Bienfaisance et Non-malfaisance). Cette réflexion s’égare un peu du propos mais c’est ce qui m’est venu à l’esprit probablement un peu de part ma profession.

Concernant l’humilité, il est frappant comme c’est nécessaire, assez souvent évoqué (shoshin, etc) et pourtant un mal de notre période actuelle. Je ne sais pas si cette réflexion sur le Do est consciente chez beaucoup aujourd’hui? Notamment de pas être dépositaire d’une vérité révélée… Quand et comment susciter cette recherche chez les pratiquants ? Avec souvent le prétexte de liberté/créativité on tombe vite dans le « tout est bon » qui du coup perd l’intérêt de l’échange et du partage sur le tatami, c’est en tout cas le retour de ma courte expérience au CTR Grand Est. Malheureusement ça donne parfois l’envie de s’isoler ce qui n’est pas bon non plus… Le manque d’humilité et surtout la perte du sens profond seraient un mal interne de l’aïkido qu’on vit ?
Dans cette notion d’humilité on pourrait aussi peut-être l’appliquer à l’échanger avec uke ? Le fait de rester humble, sans exagération amène aussi à ne pas vouloir dominer l’autre et forcer au respect d’autrui.

En divagation à ce sujet, je me rappelle d’une phrase utiliser à foison par Shishya sensei un élève de Nishio qui venait assez souvent en Allemagne un temps, il disait souvent « I can but never » pour expliquer la possibilité destructrices d’un mouvement mais qui ne peut-être utilisée ou cherchée car ça ne serait plus dans l’aïkido.

L’humour touche en partie à une notion qui est parfois oubliée tellement elle est évidente. Elle fait un lien avec l’idée de plaisir, de joie et de légèreté. Je me souviens d’une discussion au stage de Sablé sur Sarthe où le propos était le travail d’uke. On y a abordé les chutes et tu avais développé un propos sur la notion de plaisir dans la chute. C’est bête mais c’était pour moi la première fois que j’ai entendu un enseignant évoquer le plaisir et non la seule notion de contrainte sur cette thématique.
Évidemment l’humour est différent du plaisir mais elle rejoint à un moment. J’ai repensé dans ce paragraphe au dojo d’un de mes anciens professeurs Paul Matthis avec je garde grande affection et proximité. Il enseigne depuis quelques années au sous-sol d’un un fort du Second Empire à Wolfisheim. Endroit un peu lugubre et sinueux une fois arrivé au porte du dojo on retrouve dans le couloir des portfolios et collages des photos du club, puis des montages photos grossiers et humoristiques sur le sensei du lieu et une fois sur le tatami, sur le mur en face du kamiza on retrouve un panneau de signalisation d’interdiction précisant « Interdit de faire la gueule »…

Comme quoi, d’une certaine manière le triptyque (parfois incomplet) existe déjà sur le mur de certains dojo !